Coproduits : et si vous déteniez des pépites ?
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La FAO a évalué la quantité totale des déchets et coproduits issus de la filière agroalimentaire à l’échelle mondiale. Le résultat est impressionnant : 1,3 milliard de tonnes ! Un tiers des productions agricoles et alimentaires serait ainsi perdu.
Ces ressources représentent un énorme potentiel. Les valoriser est donc un enjeu économique et environnemental considérable.
Mais que faire de ces coproduits ? Comment créer de la valeur à partir de ces derniers ?
Récemment, des filières ont initié des projets innovants de valorisation des coproduits. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une démarche durable, et permettent des gains économiques. Ils contribuent également au développement d’une image positive. De quoi s’inspirer !
L’ADEME distingue 3 catégories de résidus dans la filière agroalimentaire :
RESEDA a récemment révélé les résultats d’une enquête nationale réalisée en 2017 auprès d’industriels : Gisements et valorisation des coproduits des industries agroalimentaires. Le rapport répertorie l’ensemble des coproduits de la filière alimentaire. Par ailleurs, il liste les voies de valorisation appliquées par les industries interrogées (voir schéma ci-contre).
En France, 4 secteurs génèrent 85 % des déchets : la viande, les fruits et légumes, les boissons et le lait.
Il existe 4 grandes voies de valorisation des coproduits de l’industrie agroalimentaire :
La dernière voie de valorisation est de loin la plus intéressante du point de vue économique.
D’après le rapport RESEDA, le facteur économique influence en premier le choix de valorisation (voir graphique ci-contre). Viennent ensuite les caractéristiques du coproduits, ainsi que les critères réglementaires et sanitaires.
Le critère environnemental apparaît en dernier seulement. Pourtant, au-delà de l’intérêt économique de la valorisation des coproduits, il existe une incitation forte de la réglementation à contribuer à la réduction des déchets (Loi Grenelle 2 du 12 juillet 2012). Par ailleurs, cela peut aussi entrer dans le cadre d’une démarche RSE axée sur le pilier environnemental.
De nombreuses sociétés utilisent les coproduits en communiquant largement sur leur démarche environnementale.
En France, en 2014, Intermarché a fortement communiqué lors de sa campagne permettant d’écouler des stocks de fruits et légumes moches. Le concept a ensuite été décliné pour des produits finis : biscuits en 2015 et conserves de légumes en 2016. Celles-ci étaient alors 30 % moins chères que les conserves de légumes classiques. Au total, l’opération a généré une économie matière de 110 tonnes. Depuis, d’autres enseignes ont suivi l’exemple : Carrefour (Gueules Cassées), Monoprix (Quoi ma Gueule), Leclerc.
Cependant, d’après une étude Harris réalisée aux USA, les consommateurs ne sont naturellement pas séduits par les fruits et légumes moches. Ils en achètent peu malgré l’offre disponible (seuls 28 % des personnes interrogées en achètent). Eviter de les montrer en les transformant permettrait d’en vendre plus et de mieux les valoriser du point de vue économique.
Voici quelques exemples de produits élaborés créés à partir de coproduits issus de la filière végétale.
Glean (glaner en anglais) a conçu des poudres de légumes issus de légumes moches. Commercialisés en sachets doypacks, ils sont destinés à la réalisation de pâtisseries. Ils peuvent aussi être utilisés pour épaissir des soupes, des sauces, des smoothies. La société s’approvisionne directement auprès d’agriculteurs.
De son côté, la société Dieffenbachs commercialise des chips de pommes de terre issues de cette même filière d’approvisionnement sous la marque Uglies Kettle Chips. Cette action a permis d’éviter de jeter près de 160 000 kg de pomme de terre en 2017.
En France, Il était un fruit, société localisée près de Montpellier, propose des fruits déshydratés. Ils s’utilisent en collation ou additionnés à d’autres aliments (céréales du petit-déjeuner, yaourts, cakes, biscuits). Conditionnés en sachets de 30 g, ils sont référencés dans diverses enseignes (Carrefour, Leclerc, Auchan, Super U, Casino, …). L’offre a récemment été déclinée en légumes destinés à la pause apéro. Des aides culinaires destinées au marché de la restauration commerciale sont aussi disponibles. Les approvisionnements sont exclusivement français et issus de produits déclassés. Des produits similaires sont également disponibles aux USA, commercialisés par la marque Rind (fruits séchés au soleil).
En Angleterre, la société ChicP a lancé une gamme de houmous produite à partir de surplus de production de fruits et légumes. Les produits sont disponibles uniquement en Angleterre à partir de 1,59 £ la coupelle de 170 g. Cinq saveurs ont été créées : 3 salées (betterave / raifort / sauge, carotte / gingembre / safran, herbe) et 2 sucrées (banane / avocat / cacao, banane / beurre de cacahuète / cacao).
La startup Rennaise Kolectou est née en 2018 dans le but de valoriser les surplus de pains de boulangeries. Le broyage donne une poudre utilisée pour la fabrication de pâtisseries sucrées ou salées : Tadaam. Trois recettes sont ainsi proposées pour aider les utilisateurs dans l’élaboration de pâtisseries. Les fondatrices ont établi un partenariat avec Sodexo qui utilise la farine dans ses établissements de restauration collective.
Dans le même ordre d’idées, des étudiants ont collaboré avec la société danoise Greens pour créer une farine élaborée à partir d’épluchures et de pulpes de carottes. Issues de la fabrication de jus de carottes, ces déchets étaient initialement destinés au compost. La farine obtenue est riche en fibres et peut être utilisée pour élaborer des cakes. Lorsqu’elle remplace la farine à hauteur de 35 % dans une recette de pain, elle permet d’aoporter une couleur orangée intéressante, sans pour autant modifier la texture et la structure par rapport à la recette classique.
Renewal Mill, société californienne, commercialise également de la farine. Elle est produite à partir de pulpe issue de la production de lait de soja. Elle s’inspire d’un aliment traditionnel en Asie : l’Okara, utilisé en substitution totale ou partielle de la farine dans des préparations pâtissières.
Renewal Mill travaille également sur d’autres projets de valorisation : les épluchures de pomme de terre, les coques de pistaches et d’amande.
Une farine produite à partir de coproduits issus du brassage de la bière est proposé par ReGrained, une starup amécaine. Elle aurait pu s’arrêter à ce niveau, et commercialiser la farine en l’état sur des marchés BtoB ou BtoC. Elle a préféré l’utiliser en tant qu’ingrédient pour fabriquer des barres.
Les déchets sont particulièrement importants au sein de le filière halieutique. Ils représentent en effet 40 à 60 % du poids total pêché. Ils sont majoritairement utilisés en alimentation animale.
Les peaux de poissons correspondent à 1 à 3 % des coproduits issus de la pêche. Jusqu’à présent, celles-ci étaient utilisées pour extraire du collagène, de la gélatine ou des peptides. De façon plus anecdotique, elles sont utilisées pour produire du cuir. Sea Chips va peut-être changer la tendance. S’inspirant des pratiques de grands chefs, cette société anglaise commercialise en effet des chips réalisées à partir de peaux de saumon récupérées auprès de poissonneries. En parallèle, une partie des bénéfices réalisés par la société est reversée à des organisations caritatives engagées dans des actions ayant pour but de nettoyer les mers et océans. Trois versions sont disponibles : nature salé, vinaigre et citron chili. Les produits sont uniquement commercialisés sur le marché anglais dans certaines épiceries haut de gamme (Harrods, Whole Foods Market, Fenwick) et via Amazon au prix de 11.50 £ les 6 paquets.
Brew Dr Komboucha propose un komboucha (boisson issue de la fermentation d’un mélange de thé et de sucre par des levures et des bactéries) depuis plusieurs années. Récemment, cette société a lancé un spiritueux réalisé à partir de l’alcool produit lors de cette fermentation.
De nombreux coproduits sont utilisés pour fabriquer des ingrédients, quelque soit la filière.
Les pelures d’oignons, de pommes, de pommes de terre sont utilisées pour produire des antioxydants, des flavonoïdes, des acides organiques,
Le marc de pommes sert à la production de pectines, d’enzymes, d’arômes, de pigments, d’éthanol,
De l’huile, des caroténoïdes, du lycopène, sont fabriqués à partir de pulpes et pépins de tomates,
Le brocoli est utilisé pour extraire du sulphoraphane,
Les coproduits de cette filière sont également employés pour élaborer des arômes, des colorants, des sucres de fruits, des fibres.
Ce domaine inspire de nombreux projets en ce moment. Voici quelques exemples :
Un programme national de recherches a été créé dans le but d’explorer de nouvelles voies de valorisation : VAMACOPIA (Valorisation Matière des Coproduits de l’Industrie Agroalimentaire). Une analyse préalable a ainsi permis d’identifier différentes molécules d’intérêt au sein de chaque filière. Cela a conduit à la définition de plusieurs projets impliquant différents centres de recherche : bétâ-glucanes issues de son d’avoine, acides hyaluroniques, acides gras poly-insaturés (EPA, DHA) issus de filières aquacoles, polyphénols issus de pépins ou marc de raisins, …
Brain Booster est un projet collaboratif qui a pour but d’extraire un complexe phospholipides-biopeptides à partir de têtes de sardines. Il implique Abyss’Ingredients (porteur du projet), Chancerelle, SPF Diana, l’Université de Brest-CNRS (UBO) et l’Université de Bordeaux-INRA (Nutrineuro). Cet ingrédient serait alors utilisé dans des compléments alimentaires afin de diminuer les troubles cognitifs liés au vieillissement. Labellisé Pôle Mer-Bretagne-Atlantique et Pôle Valorial, ce projet bénéficie d’un co-financement (FUI, Conseil départemental du Finistère, Conseil régional de Bretagne, Agglomération de Lorient) pour un montant total de 2,7 millions d’€.
De son côté, 1001noyau, startup incubée par Rungis&Co, collecte les fruits invendus pour réaliser des ingrédients cosmétiques à partir des noyaux. Pour le moment, leurs travaux portent sur les noyaux de mangue dans le but de produire du beurre de mangue.
Almond Board of California étudie la valorisation des coques et déchets de l’amande pour différentes applications : fabrication de sucres et de bière, substrat pour des champignons, plastiques biodégradables.
De son côté, Origin Almond élabore à partir de coproduits issus de la fabrication de jus d’amandes pressées à froid des produits cosmétique commercialisés sous la marque Clean as Kale.
Enfin, une équipe de chercheurs a obtenu d’excellents résultats en matière de culture de bactéries probiotiques sur un substrat constitué à partir de son de riz. Par ailleurs, ce même son pourrait être exploré dans le cadre de son potentiel prébiotique chez l’Homme.
Les coproduits représentent donc un énorme potentiel en matière d’innovation. La voie de valorisation animale est majoritaire, car probablement la plus facile à mettre en oeuvre. Cependant, elle génère une faible valeur ajoutée.
Les autres voies nécessitent plus de temps et d’investissements R&D. Mais elles seront plus intéressantes, tant du point de vue économique qu’en matière de notoriété.
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