Ces derniers temps, les aliments ultra-transformés (AUT) ne cessent de faire couler de l’encre.
Leur consommation est en augmentation sur l’ensemble de la planète.
Quels sont les éléments qui ont conduit à ce phénomène ? Quel est le niveau réel de leur consommation dans les différents territoires du monde ?
Contexte historique ayant conduit à l'augmentation de la consommation des AUT
Reconstruire et moderniser
La deuxième moitié du 20ème siècle s’est traduite par plusieurs bouleversements dans le quotidien des occidentaux. Ainsi, à la suite de la seconde guerre mondiale, les gouvernements ont mené des politiques pour reconstruire les pays impactés. Dans le secteur agricole, cela s’est traduit par la volonté d’aboutir à l’autosuffisance alimentaire et par la modernisation de l’outil industriel. L’agriculture intensive est alors devenue le modèle à suivre. L’autosuffisance alimentaire est atteinte en France au début des années 70.
En même temps, au sein des industries agroalimentaires, nous constatons une concentration des outils de production. Les usines grossissent, les productions sont rationnalisées. La taille des lots de fabrication augmente, leur zone de diffusion s’étend. Face à cela, les industries agroalimentaires ont besoin de sécuriser les produits. Elles doivent aussi les homogénéiser, les consommateurs tolérant difficilement des variations en termes d’aspect, de goût, de texture, … Elles répondent également à la pression toujours croissante qu’elles subissent en termes de prix. Elles s’orientent donc vers des recettes, des technologies, des conditionnements permettant d’atteindre ces objectifs.
En matière de distribution, les modèles ont également au beaucoup changé. Les réseaux de distribution se sont concentrés. Les petits commerces ont progressivement fait place aux supermarchés, limitant parfois la proximité entre les lieux de vie et les lieux d’achats. En parallèle, le temps consacré aux achats alimentaires a diminué, ou ils ont été espacés dans le temps, du fait du travail ou de l’éloignement. Les corners traditionnels se sont réduits au profit des rayons libre-service, plus gourmands en emballages.
Evolution des consommations en France
Les consommations alimentaires ont évolué en France depuis l’après-guerre. Ainsi, selon l’INSEE, l’après-guerre se caractérise par une augmentation des volumes consommés. Cependant, depuis les années 60, la part des aliments de base (viandes, fruits et légumes, pain et céréales, et même poissons depuis 1990) n’a cessé de diminuer au profit d’aliments transformés : plats préparés, laitages, produits sucrés, boissons non-alcoolisées (voir graphique ci-dessous). Ainsi, depuis 1960, la consommation de plats préparés augmente de 4,4 % par an en volume. Cette augmentation serait liée aux changements de mode de vie (travail de la femme, urbanisation, développement des loisirs, …) impliquant une réduction du temps consacré à l’élaboration des repas (- 25 % entre 1986 et 2010). Les consommateurs trouvent alors sur le marché des produits qui correspondent à leurs attentes en termes de praticité. L’offre répond à un besoin. La demande croit, l’offre s’étoffe…
Selon l’ANSES (étude INCA 3 – Saisine 2014-SA-0234) chez l’adulte, les aliments transformés pris en dehors des établissements de restauration était issus pour la moitié de fabrications industrielles au début des années 2010. Et nous pouvons supposer que ces niveaux de consommation sont encore plus importants à l’heure actuelle !
Une tendance qui touche tous les pays développés
Dans les pays industrialisés, les AUT représenteraient à ce jour 25 à 60 % des achats selon les pays (Srour B. et al., 2019). Leur consommation a augmenté dans tous les pays.
Par ailleurs, l’INSERM précisait, en 2019, que les AUT représentaient plus de la moitié des apports énergétiques dans de nombreux pays occidentaux.
L’équipe de Monteiro C. et al. (2017) a mené une étude permettant d’évaluer la part des AUT dans les apports caloriques au sein de 19 pays européens. Elle alors montré que les AUT contribuent en moyenne pour 33,9 % aux apports énergétiques totaux (minimum : 10,2 %, maximum : 50,7 %). Il est cependant difficile de comparer les valeurs entre elles, car elles sont issues de relevés réalisés au court d’une large période, allant de 1991 à 2008 (plus vieilles données pour la France en 1991, plus récentes pour la Grande-Bretagne en 2008). Par ailleurs, ces données ont été obtenues selon des méthodes différentes en fonction des pays étudiés. Enfin, il ne s’agit pas de valeurs récentes (par exemple, 1991 pour la France, 1996 pour l’Italie). Elles peuvent avoir fortement augmentées dans les pays considérés, même si la publication date de 2017.
Des données plus récentes montrent que les niveaux de consommation en AUT ont encore augmenté en Europe :
- En Grande-Bretagne, 63,4 % des achats alimentaires seraient constitués d’aliments transformés ou ultra-transformés. En outre, l’analyse des consommations de la cohorte NDNS (UK National Diet and Nutrition Survey Rolling Programme) entre 2008 et 2012 montre que les AUT représentaient 53,1 % des apports alimentaires totaux (Adams J. et White M, 2015). En 2014, ils représentaient 58 % des apports alimentaires totaux (Rauber F. et al., 2018).
- En Suède, entre 1960 et 2010, la consommation d’AUT a augmenté de 142 % (Juul F. et Hemmingsson E., 2015).
- En France, Julia C. et al. (2018) précisent, qu’au sein de la cohorte NutriNet-Santé, les AUT contribuent pour 18,4 % des aliments consommées en poids et pour 35,9 % de l’apport énergétique total.
En Amérique du Nord, les AUT sont également fortement présents dans les régimes alimentaires :
- Au Canada, la part des aliments prêts à l’emploi dans le régime alimentaire est passé de 28,7 à 61,7 % entre 1938 et 2011 (Maubarac J.C. et al., 2014). En 2015, 48,3 % des apports caloriques étaient issus des AUT (Polsky J.Y., 2020).
- Aux USA, en 2010, les AUT représentaient 59,7 % des apports énergétiques au sein de la cohorte américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) selon Martinez Steele E. et al. (2015). En 2015, ils atteignaient 61 % selon Poti J.M. et al.
Mais aussi les pays à revenus intermédiaires
La consommation d’aliments ultra-transformés (AUT) a augmenté dans tous les pays, qu’ils soient développés ou en voie de développement (Aguayo-Patrón S.V. et Calderón de la Barca A.M., 2017). Cependant, il semblerait que ce phénomène croit largement plus vite dans les pays en voie de développement.
Au Brésil, la consommation des AUT serait passée de 20,3 à 32,1 % entre 1987 et 2009. Ils représentaient 27,7 % des achats selon Moubarac J.C. et al. (2013), et jusqu’à 39,4 % des apports énergétiques totaux selon Canella D.S. et al. (2014).
L’Organisation de Santé Pan Américaine (PAHO) rapporte, en 2015, que les ventes d’aliments ultra-transformés ont augmenté dans tous les pays d’Amérique Latine entre 1999 et 2013. Elles sont passées de 1,5 à 64,8 % des ventes totales. Les plus fortes progressions ont été observées en Uruguay (+145%), au Pérou (+121%) et en Bolivie (+151%).
Selon Baker F. et Friel S. (2016), les pays les plus pauvres d’Asie seraient certes moins touchés que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, voire le Japon. Cependant, ils font face à une augmentation de la consommation d’AUT récente qui s’accélère fortement, en partie poussée par la « supermarketisation » des achats alimentaires. Initialement, celle-ci était principalement liée aux achats de produits importés (boissons au cola, produits de fast-foods), en lien avec la globalisation des marchés alimentaires. Mais ces dernières années, elle est aussi liée aux achats de produits ultra-transformés issus de tradition locale fabriqués par des sociétés nationales.
En Afrique, Holmes MD et al. (2018) montrent aussi ces évolutions, dans une moindre mesure, au sein des populations urbaines et impliquées dans le développement économique des pays.
L'augmentation de la consommation des AUT touche aussi les plus jeunes
Cette tendance est applicable à toutes les classes d’âges. Ainsi, les aliments ultra-transformés sont introduits très tôt chez les enfants. Ils contribueraient déjà pour une grosse part des apports caloriques chez des nourrissons de 13 à 35 mois selon l’étude de Batalha M.A. et al. (2016). En France, les aliments transformés issus de fabrications industrielles représentaient, au début des années 2010, 2/3 des aliments transformés consommés chez les enfants de moins de 17 ans (ANSES, 2017 – Etude INCA 3). Les fabrications maison ne représentant qu’un quart des consommations (le reste correspondant aux fabrications artisanales).
A noter également que la consommation d’AUT a tendance à diminuer avec l’âge dans de nombreux pays, la part du « fait maison » prenant plus de place dans l’alimentation.
Quelles actions pour diminuer cette tendance ?
La consommation d’aliments ultra-transformés augmente donc fortement sur l’ensemble de la planète. Or cette tendance présente des risques pour la santé : obésité, maladies métaboliques, maladies auto-immunes, cancers, …
Face à cette situation, différentes politiques nutritionnelles sont mises en place dans plusieurs pays afin de diminuer leur consommation. C’est notamment le cas en France. En effet, la réduction de la consommation de 20 % des aliments ultra-transformés a été incrite dans le PNNS 4 (Plan Nationnal Nutrition Santé) – voir notre article à ce propos.
En parallèle, certains distributeurs et plusieurs fabricants se sont engagés dans des stratégies visant à améliorer les profils des produits commercialisés ou à créer de nouveaux aliments plus sains.
D’autres pistes peuvent aussi être explorées à l’image de différentes tendances qui s’accélèrent depuis le premier confinement : limitation des additifs, vente en vrac, retour à la source avec les achats à la ferme, essor de la bio,